Une interview exclusive du maire de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), Frédéric Petitta.
L’opération de requalification d’un bâtiment public réunit de très nombreux intervenants tout au long d’une chaîne complexe, des élus qui ont rêvé le projet jusqu’aux entreprises chargées des dernières finitions. Ensuite, une fois livré il impactera fortement les habitants qui le côtoieront pendant de très nombreuses années. Tous ces acteurs sont curieux d’entrer dans la peau du maire pour connaître son mode de fonctionnement. Quels sont ses objectifs, ses sentiments, ses contraintes, ses doutes, ses attentes ? A la livraison de l’Espace Malraux sur la commune de Sainte-Geneviève-des-Bois nous avons interrogé le maire Frédéric Petitta. Une interview-vérité qui révèle des préoccupations auxquelles on ne s’attendait pas forcément, centrées autour de l’humain et de l’émotion.
Qu’est-ce que l’Espace Malraux ?
Frédéric Pettita : Après avoir été une école puis une amorce de collège, le bâtiment est devenu le siège du club omnisport qui héberge les services administratifs de cette entité animant 4500 licenciés sportifs. C’est également le siège de Renaissance et culture, la plus ancienne association municipale, celui du club de boxe et le local du club de pétanque. Enfin, sa grande salle accueille les événements familiaux de nos concitoyens qui ne peuvent s’offrir des équipements privés coûteux, comme les anniversaires d’enfants par exemple. Un bâtiment public se doit de prendre en compte la réalité socio-économique de son bassin de vie. Or, notre commune est une ville populaire de banlieue et ce type d’équipement y est très apprécié.
Pourquoi souhaitiez-vous le rénover ?
FP : Le bâtiment souffrait de difficultés d’usage dus à la vétusté de ses 90 ans. Il était devenu une passoire énergétique, présentait des difficultés d’accès aux personnes souffrant de handicap, ne disposait pas de ventilation adaptée dans la salle de sport, ni de vestiaires féminins. Avec les élus, nous avons donc souhaité le réhabiliter en fonction de ces critères de confort bien entendu, mais également plus humains.
Lesquels, par exemple ?
FP : Il arrive que certaines populations rencontrent des obstacles sociaux et/ou urbanistiques, les rendant plus vulnérables. Elles peuvent alors souffrir d’exclusion et ne pas être intégrées dans les villes. Nous voulions donc manifester aussi notre volonté d’accueillir sur le territoire toutes les personnes, y compris les publics fragilisés ayant besoin d’une attention particulière comme les personnes en situation de handicap, les femmes souhaitant pratiquer la boxe qui ne disposaient pas de vestiaire dédié.
Mais nous tenions absolument à donner de plus au bâtiment requalifié un supplément d’âme.
Comment pourriez-vous qualifier d’un mot ce type de projet ?
FP : C’est une aventure ! Dans tous les sens du terme.
Pourriez-vous préciser ?
FP : Eh bien, avant tout, c’est une aventure esthétique.
Au-delà de tous les choix techniques opérés pour remettre le bâtiment aux normes – isolation thermique, chauffage aux panneaux solaires, ventilation par centrale double flux, ascenseurs pour l’accès handicapés, acoustique des salles de réunion – nous souhaitions lancer un signal fort à la population en nous attachant à la qualité architecturale du projet. Parce qu’un bâtiment public n’est pas un lieu anodin. C’est à un lieu de vie à la fois publique et du public. Et il est porteur en ce sens d’une triple exigence :
1- Tout d’abord, il doit s’intégrer parfaitement dans le paysage urbain car il est exposé à la vue de tous et le regard des habitants s’est habitué à sa présence. Il nous engage donc dans le respect d’une certaine tradition dont nous, les élus, ne sommes que les dépositaires temporaires. Nous nous inscrivons dans une histoire qui se poursuivra après nous et notre mandat ne sera que le maillon d’une longue chaîne, ce qui porte à l’humilité.
2- Ensuite, parce que, en tant que lieu de vie, il est créateur d’émotions pour ses utilisateurs. Moi-même, je suis un enfant de cette commune où j’ai toujours vécu et je peux témoigner de la forte empreinte émotionnelle de tous ces moments forts passés dans le bâtiment depuis tout petit. Ces souvenirs familiaux, sportifs ou culturels nous appartiennent, nous ont construit et il s’agit de respecter ces tranches de vie émouvantes.
3- Enfin, parce qu’il se doit de véhiculer un message de beauté. Parce qu’il est un signal fort envoyé à la population qui manifestera sa fierté d’appartenance en se l’appropriant. « Le beau appelle le beau » et il inspire le respect de ses usagers face aux risques de dégradation et d’incivilités.
En l’occurrence, le parti-pris d’attirer le regard par des avancées cuivrées qui donnent du relief et de l’élégance à la façade sont très appréciés par la population. Y compris, et cela m’a fait un immense plaisir, par les personnes les plus âgées qui y avaient été scolarisées enfants et auraient pu s’émouvoir de transformations qui perturbent leurs souvenirs. Mais la valorisation architecturale opérée les a, au contraire, transcendés. Le rappel des briques en bas de façade et la modernité de ces avancées cuivrées leur est apparu comme un dialogue indispensable qui interroge à la fois le passé et l’avenir et elles se le sont approprié.
Qu’avez-vous apprécié dans le travail des prestataires sélectionnés pour mener à bien ce chantier ?
FP : En premier lieu, la créativité architecturale de l’agence qui nous a proposé plusieurs esquisses. J’ai préféré laisser l’équipe choisir elle-même. Le projet retenu s’imposait d’évidence car il intégrait à la fois le respect de la tradition et l’audace avant-gardiste nécessaires, chacune soulignant d’ailleurs les qualités de l’autre. Bien entendu, un ressenti architectural inclut une forte part de subjectivité et le résultat final est le fruit de nombreux échanges entre nos attentes et leur savoir-faire. Il n’y a eu au final qu’un seul point esthétique sur lequel nous avons dû transiger, ce qui est tout à fait exceptionnel.
Le deuxième aspect est la fidélité entre le projet graphique qui nous avait été proposé et la réalisation finale. Les élus savent pertinemment que nous évoluons dans une société d’image et que les technologies d’imagerie virtuelle enjolivent trop souvent la réalité. Séduits par un rendu trompeur, ils peuvent s’embarquer dans une aventure risquée aux yeux de leurs concitoyens. L’autosatisfaction incantatoire dans les discours d’un projet trop beau pour être vrai n’aboutit finalement qu’à une frustration générale face à sa réalisation. Tout cela participe du repli démocratique et d’un divorce entre élus et électeurs qui se sentent floués. Il était donc essentiel pour nous que le projet validé sur le papier soit l’exacte reproduction de ce qui a été livré. Cela a été le cas pour cette opération. L’agence d’architectes sélectionnée avait su réfréner les ardeurs que la technologie d’imagerie lui autorisait et elle ne s’est pas livrée à une surenchère graphique. Au point que nous avons été encore davantage impressionnés par le rendu final que par les projections que nous nous en faisions.
Mais ce qui m’est apparu d’évidence comme l’élément fondamental du succès de cette opération de réhabilitation, c’est le dialogue permanent qu’a entretenu le maître d’œuvre entre nous et les entreprises. Nous savons tous qu’un chantier de requalification d’un bâtiment ancien souffre structurellement d’un certain nombre de mauvaises surprises qui apparaissent au cours des travaux de démolition, malgré tous les sondages préalables destinés à anticiper les problèmes. C’est une aventure collective. Le maintien d’un lien étroit, permanent et sincère entre tous les acteurs de l’opération est déterminant pour rectifier le tir et valider les réorientations techniques à prendre en compte au fur et à mesure. Les réunions de chantier sont le lieu dédié de ces rencontres au cours desquelles on échange en toute franchise et où les transactions s’opèrent entre les attentes des élus et les contraintes techniques des entreprises. C’est d’autant plus important que les procédures de marchés publics ne permettent pas de travailler avec des prestataires dont on connait déjà le mode de fonctionnement humain.
Et je dois reconnaitre que l’agence d’architecture sélectionnée pour assurer la conduite du chantier, ALU Architectes, à travers l’investissement personnel de son associé Franck FAUVET qui a été présent à toutes les réunions, a permis de réaliser ce qui n’aurait jamais dû l’être. Car, en plus de la résolution des inévitables problèmes techniques qui sont apparus en cours de chantier et de l’agenda calendaire très contraint dû à l’exigence d’accueillir un bureau de vote dans la salle des familles sur un calendrier inamovible, la pandémie du Covid-19 a frappé le chantier de plein fouet. Malgré l’arrêt des travaux et les exigences sanitaires dont on ne nous a pas donné tous les moyens, l’opération n’a miraculeusement pas souffert de retard de livraison. Ceci est dû à l’implication de tous les acteurs : l’accompagnement de SORGEM, la société d’aménagement de la Communauté d’Agglomération du Val d’Orge et du département de l’Essonne que je préside par ailleurs, et qui avait été mandatée en tant qu’Assistant à la Maîtrise d’Ouvrage ; celui des équipes de la ville ; et la réactivité des entreprises prestataires.
Ce type d’opération s’assimile à un orchestre symphonique rassemblant de nombreux musiciens qui pratiquent des instruments différents et dont l’ensemble interprète avec bonheur la symphonie. Et il faut reconnaitre que, pour jouer tous ensemble une partition aussi compliquée, le talent de chef d’orchestre du Maître d’œuvre, en l’occurrence ALU, a été déterminant.
Il me tarde que la situation sanitaire me permette enfin d’inaugurer officiellement le bâtiment, actuellement transformé en salles de vaccination, pour pouvoir remercier comme ils le méritent tous les participants à cette belle aventure humaine.
En définitive, pouvez-vous préciser à nos lecteurs les attentes spécifiques d’un maire en matière de requalification urbaine ?
FP : Il faut d’abord comprendre que tout chantier de rénovation s’inscrit dans un projet politique cohérent, au sens de la racine grecque du mot : la cité. Ainsi à Sainte-Geneviève-des-Bois, nous nous engageons résolument dans la transition énergétique et chacune de nos opérations doit porter ces valeurs. Ainsi nous avons engagé une réflexion sur l’engagement de la commune dans la lutte contre le réchauffement climatique, grâce à un principe de réappropriation de l’espace public et de création d’îlots de fraîcheur par exemple, et là encore, la rénovation de l’Espace Malraux se devait de prendre en compte cette thématique. C’est en ce sens que nous nous sommes engagés sur un plan de réhabilitation thermique de tous les anciens équipements sportifs, par exemple. De même, je vous l’ai dit, nous nous sommes donné l’objectif de devenir une « ville inclusive » et donc de n’exclure aucun citoyen de l’accès aux bâtiments publics. Il appartient donc aux prestataires candidats à nos marchés de s’intéresser en amont aux valeurs citoyennes que nous portons car nous nous y sommes engagés en tant qu’élus vis-à-vis de la population.
En deuxième lieu, je dirais que l’époque, la situation économique et sociale, incite les élus à attendre davantage de sobriété dans les projets qui leurs sont soumis. Hormis quelques opérations de prestige, l’heure n’est plus au clinquant et aux dépenses débridées. En l’occurrence, la réhabilitation de l’Espace Malraux est une totale réussite à mon point de vue parce que la technique a su se mettre au service d’une ambition forte, qu’elle a réussi à concilier avec une enveloppe budgétaire et des délais contraints.
Ensuite, la qualité du dialogue entre toutes les parties prenantes est essentielle dans la réussite de ce type de projet. Il ne s’agit pas ici de confronter des points de vue mais de partage, d’échange, de discussions, chacun défendant pied à pied ses positions dans une totale franchise, mais avec une volonté commune d’aboutir ensemble à la réussite finale. Intervenant dans l’espace public, nous en sommes tous redevables devant nos concitoyens.
Enfin, le respect de l’engagement financier et calendaire doit être strict. Nous manions de l’argent public et, à ce titre, nous devons être exemplaires. La tentation est grande de minimiser les enveloppes budgétaires soumises au vote des élus, puis de proposer des Travaux Supplémentaires en cours de route. Sur ce premier projet, j’ai demandé aux professionnels de me donner la réalité des prix car c’était à cette seule condition que je m’engagerais devant le Conseil municipal. Je ne voulais pas entraîner les finances municipales dans une aventure économique !
Pour conclure, à la lumière de cette première expérience en tant que maire et maître d’ouvrage, qu’avez-vous retiré à titre personnel de ce chantier ?
FP : Une grande émotion. Un chantier de requalification urbaine, ce n’est pas une simple articulation de calculs, de matériaux et de tuyauteries. Derrière tout projet vibrent des femmes et des hommes. Encore une fois, tout projet de requalification est une aventure, avec son lot de paris risqués. Mais celle-ci s’est avérée une magnifique aventure humaine qui a déclenché de belles rencontres. Donc l’émotion d’avoir réussi un défi collectif grâce à la qualité des échanges dont nous sommes tous nourris. A force de dialogue vient ce moment magique où toutes les planètes s’alignent entre les partenaires, où nous épousons le même dessein. Une faveur que nous goûtons d’autant plus à la lumière de cette crise sanitaire qui a asséché les contacts humains en présentiel.
Émotion ensuite de nos administrés âgés qui se sont retrouvés dans cette rénovation et nous ont remercié, non seulement de ne pas avoir trahis leurs bons souvenirs mais de les avoir enjolivés.
Émotion, enfin de l’enfant que j’étais et qui demeure en moi, qui a toujours vécu dans cette ville et s’avoue ravi d’avoir apporté sa pierre à la transmission du bel héritage de nos anciens.
En conclusion, ce n’est pas un projet d’urbanisme inscrit dans la seule matière que nous portons. À travers lui ce sont des valeurs d’humanisme que l’élu exprime : confort supplémentaire, inclusion de citoyens, perpétuation de l’histoire de nos anciens, cohésion intergénérationnelle, durabilité de la planète, partage esthétique et enfin dialogue social. Quelle plus belle aventure peut-on rêver ?
NOTA : Cette interview donne le point de vue du maître d’ouvrage du projet, le maire de Sainte-Geneviève des bois, en contrechamp de celle, menée 15 jours plus tôt, auprès de l’agence d’architectes sélectionnée pour assurer la maîtrise d’œuvre du chantier (lien hypertexte). Une analyse en tout point convergente qui confirme l’intérêt de nourrir une vision commune.
Journalise Bernard DELOUPY
Interviewer Claudie CROIZET