A l’heure où de nombreux centres urbains en voie d’abandon, voire de paupérisation, nécessitent d’être requalifiés, l’outil de l’Action cœur de ville est une formidable opportunité pour les repenser harmonieusement et les redynamiser. Il s’agit en revanche d’une opération délicate à mener par le niveau des enjeux et la complexité d’articulation des acteurs qui y interviennent. Pour le cabinet d’urbanisme en charge de la coordination, la réussite passe avant tout par une écoute active, une psychologie bienveillante et une communication permanente entre tous les partenaires. Décryptage avec la réussite de la phase pré-opérationnelle de relance du centre-ville de Corbeil-Essonne.
La requalification des cœurs de villes est le défi d’urbanisme le plus ambitieux…
Construites à marches forcée durant les « Trente glorieuses », les villes nouvelles déposées en périphérie des pôles urbains historiques provoquent la paupérisation, voire l’effondrement de ces pôles. Lorsque, certains centres-villes ont commencé à se dégrader lentement, le programme Action Cœur de Ville (ACV) a été imaginé sur son modèle (ANRU) pour repenser ceux qui le nécessitaient et impulser une nouvelle dynamique. Piloté par la DDT, abondé par la Banque des Territoires et bénéficiant d’un accompagnement financier national, il est une chance à saisir par les collectivités qui ont fait acte de candidature pour en bénéficier. Il permet en effet de réunir autour d’une même table tous les acteurs intéressés au redémarrage de ces centres-villes dépréciés. Grâce aux regards croisés de chacun et à leur ombre portée, la problématique prend du relief. La mise en commun des expériences de tous, offre ainsi l’opportunité de nourrir des réflexions qui se confrontent, se complètent et s’enrichissent. Il peut en ressortir une sorte de méta-vision, partagée par tous, du devenir du centre-ville. Ce sont souvent d’ailleurs des pistes de bon sens qui sont redécouvertes grâce à cette approche en trois dimensions. Un schéma cohérent et consensuel peut ainsi se dessiner, que tous les acteurs peuvent alors s’approprier.
… mais sa réalisation demeure complexe.
Le principal écueil au déroulement harmonieux de ce type d’études est précisément dû à la multiplicité des intervenants. Opérateurs publics et privés, collectivités telles que Mairie, Conseil départemental et parfois Région, Société d’Économie Mixte, (SEM), Société Publique Locale (SPL) du territoire en tant qu’assistant à maîtrise d’ouvrage, services de la Préfecture, Banque des Territoires, Chambre de Commerce et d’Industrie, Chambre des Métiers, associations de commerçants et de relance de centre-ville, agences d’architecture, d’urbanisme et d’environnement, Unité Départementale d’Architecture et du Patrimoine (UDAP), Action Logement …En ajoutant à cette liste d’instances, dont les intérêts peuvent être contradictoires à l’occasion, les différences de sensibilité politique des élus et les collectifs citoyens à l’affût, les risques d’échec qui menacent ce genre d’initiative sont nombreux.
Une communication étroite et permanente, entamée dès l’origine entre tous les acteurs, est dès lors la seule solution pour mener à bien ce type de convergence.
Le choix de l’agence ALU était lié à son expérience, à la fois locale et humaine
Les programmes Action Cœur de Ville (ACV) sont menés en nombre limités pour permettre de les faire aboutir dans les meilleures conditions. Sur le Département de l’Essonne, seules cinq candidatures ont été retenues, dont celle de la Ville de Corbeil-Essonne.
Urbaniste du terroir parisien, l’agence ALU (Architecture, Landscape & Urban planning) travaillait déjà sur ce territoire depuis une douzaine d’années pour le compte de différents opérateurs privés et publics. De plus, elle avait mené une réflexion deux ans auparavant sur les thématiques commerciales, en lien avec une association de relance du centre-ville. C’est donc tout naturellement qu’elle a candidaté à l’appel d’offres du programme ACV. A l’issue, elle a été sélectionnée en tant qu‘urbaniste pour les études pré-opérationnelle qui regroupaient les grandes stratégies et le planning. Action Cœur de Ville étant un nouvel outil juridique, elle ne disposait pas de référentiel précis sur ce qui était attendu d’un urbaniste. Mais, fidèle à son souci de nouer d’étroites relations humaines avec les différents acteurs de l’opération, une exigence désormais au cœur de son métier, ALU a commencé par aller à leur rencontre. L’objectif était triple :
- S’informer sur leurs contraintes et leurs attentes,
- Les rassurer, entendre, et comprendre
- Coordonner un projet cohérent.
Le centre-ville de Corbeil Essonne était le type même de territoire intéressé par le programme ACV
Il faut dire que le sujet s’y prêtait :
- Ancienne ville royale, Corbeil était la porte d’entrée du Bassin parisien dont elle était l’un des ports. Ville d’eau historique devenue le siège de la Préfecture, parsemée de canaux, elle dispose d’un magnifique patrimoine architectural, héberge de beaux bâtiments d’époque, de grands moulins en bord de Seine hérités du XIXe siècle et d’un joli point de vue sur berge.
- Corbeil a été jumelée avec Essonne dans les années 50, mais les deux centres-villes demeuraient distincts ;
- Quand les villes nouvelles ont commencé à se construire dans la couronne parisienne au cours des « Trente glorieuses », la ville proche d’Évry a attiré à elle le centre du pouvoir administratif, les investissements et de nombreuses activités ;
- La ville a continué à évoluer dans un empilage complexe de mille-feuilles urbain, sous la pression des différentes communautés de citoyens qui l’ont investie ;
- Pour couronner le tout, les bords de Seine étaient classés zones inondables par le PPRI.
Le cœur de ville se dégrade et se paupérise. Les investissements privés se raréfient, accélérant la spirale de dégradation. Il devenait urgent de le réhabiliter.
Le renouveau passait par le dialogue
- La première démarche qu’a entamé l’agence a été de parcourir son périmètre d’intervention avec l’Architecte des Bâtiments de France pour identifier les lignes de force du patrimoine historique, les possibilités de le valoriser et envisager le champ des possibles en matière d’éventuelles destructions.
- Puis tous les acteurs au projet ont été approchés, réunis, écoutés et associés à la réflexion commune. Il fallait à la fois prendre en compte leurs contraintes, confronter les points de vue et redessiner une cohérence d’ensemble, porteuse de renouveau. En partenariat avec l’Agence d’urbanisme et paysage Ozévert[1] et l’agence de stratégie environnementale AI environnement, nous avons proposé de nombreuses esquisses tout au long de cette phase qui ont permis de jouer carte sur table, de faire émerger une vision nouvelle partagée et de régler progressivement les points de désaccord au bénéfice d’un projet consensuel. Un recul salutaire qui a permis de dessiner une nouvelle cohérence globale :
- Réarticuler les centres-villes de Corbeil et d’Essonne et recoller les morceaux du cœur de ville ;
- Valoriser le patrimoine historique tout en le faisant dialoguer avec de futurs projets contemporains de qualité. Ceci passant notamment par la réhabilitation des grands moulins désindustrialisés en bord de Seine, repérés comme des éléments porteurs de renouveau ;
- Rendre au quartier sa juste place de ville d’eau en le rouvrant sur le fleuve, grâce à l’utilisation de nouvelles techniques de construction en zones inondables ;
- Repenser l’attractivité du centre pour les primo-accédants ou les visiteurs :
- En améliorant les séquences d’entrée en automobile, grâce au repositionnement des parcours proposés,
- En créant des perspectives d’arrivée sur la rive noble du fleuve, face aux grands moulins ainsi spatialisés comme des signaux urbains.
Les visions croisées des intervenants ont permis de porter un nouveau regard sur des éléments d’urbanisme qu’on ne remarquait plus, en mettant des mots sur leur identité et en redécouvrant ainsi des richesses oubliées de l’unité architecturale du centre-ville.
- Ensuite, dans l’attente des travaux de réhabilitation des grands moulins, des montages « d’urbanisme transitoire » permettraient de les ouvrir à des associations culturelles d’artistes qui les animent, les entretiendraient et y développeraient des projets de micro-économie.
- Enfin, il fallait aller chercher les financements correspondants. Certains étaient déjà disponibles pour de nombreux projets d’urbanisme mais leur utilisation était confuse, car portée par des partenaires agissant en ordre dispersé, selon leurs propres objectifs. La cohérence de ce projet a permis de les intégrer dans une vision synthétique qui a redessiné le cœur de ville. Mais surtout, il a permis de faire adhérer les instances administratives et d’aller chercher des moyens nouveaux pour entamer une rénovation complète du cœur de ville. La Banque des Territoires pourrait accepter de financer entre 30 et 70% des études et des projets à mettre en œuvre. En évaluant en amont avec les opérateurs privés ce qui était économiquement viable, leur accord a été obtenu par la suite pour financer à leur tour des opérations de réhabilitation.
Une dynamique fédératrice s’est enclenchée
Quatre ans de réflexion, de propositions et d’échanges constructifs entre tous les partenaires intégrés au projet ont abouti à une vision commune et partagée du cœur de ville. Elle a su rassembler tous ces acteurs autour d’une identité commune de bon sens qu’ils ont pu s’approprier.
La dynamique porteuse de ce projet rassembleur a été livrée à la cité, tel le premier étage d’une fusée arrivée en fin de poussée. Il s’agit maintenant pour la nouvelle équipe désormais aux commandes, à l’issue des élections municipales qui ont marqué un changement d’orientation politique, d’enclencher sa propre énergie cinétique au programme.
Mais la leçon à tirer de ce chantier est que le facteur-clé de réussite d’une Action Cœur de Ville est la nécessité d’inviter tous les acteurs à partager autour d’une table, à s’écouter et de maintenir cette qualité des rapports humains entre eux tout au long de l’opération.
Alors Alu remercie les acteurs clefs de cette réussite dont Mathilde Cleret (SPL des Territoires) qui a assisté et coordonné l’ensemble des études en cours avec passion. Audrey Vernet qui a porté ce projet à bout de bras avec une énergie sans limite pour la ville. Serge Lifchitz (Architecte de bâtiments de France) qui nous a accompagné dans la valorisation du patrimoine comme clef de réussite. Et vous tous qui à votre échelle avez œuvré pour le bien commun de Corbeil-Essonne.
[1] Fondée par l’ingénieure du paysage Angélique Le Neel